Le blog de Farid AOUAMEUR

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Interview L'expression du 11 Décembre 2017

FARID AOUAMER, MUSICIEN ET COMPOSITEUR, À L'EXPRESSION "J'ai toujours aimé composer pour les films" Par O. HIND - Lundi 11 Decembre 2017 00:00

Lien web : http://www.lexpressiondz.com/culture/281711-j-ai-toujours-aime-composer-pour-les-films.html

Compositeur de musique, chef d'orchestre, concepteur de spectacle et producteur d'albums, il est par ailleurs le premier à avoir fait en sorte de mettre en noir et blanc la musique algérienne afin de sauvegarder notre patrimoine musical. En effet, grâce à son travail qui s'est étalé sur une dizaine d'années aujourd'hui, mille chansons algériennes de l'ancien et l'actuel répertoire ont été transcrites et formalisées en partitions. Outre ses différentes activités tel dans Alhan oua chabab qui célèbre ses 10 ans, Farid Aouamer s'est lancé ces dernières années dans la compostion de musique de films, chose qu'il a toujours voulu faire, nous a-t-il confié. Dans cet entretien il revient sur son statut en tant que membre du jury fiction lors du dernier Festival du film engagé qui s'est terminé vendredi.

L'Expression: Dernièrement vous avez endossé le costume de membre du jury au Festival du film engagé. Comment avez-vous reçu cette proposition quand on vous l'a faite? Farid Aouamer: Quand la direction m'a appelé pour me proposer de faire partie du jury fiction je l'ai pris d'emblée comme un cadeau parce que, évidemment, j'ai toujours aimé le cinéma. En tant que musicien aussi j'ai collaboré à pas mal de projets dans le cinéma et dans l'image, notamment des films télés, séries etc. Pour moi, c'était une opportunité extraordinaire de me retrouver au coeur d' un festival que j'aime bien en plus, même s'il n'a pas énormément de moyens, on le déplore tous et j'en profite pour interpeller d'ailleurs qui de droit parce que c'est un festival important dans la mesure où il est engagé et l'engagement en 2017 c'est quelque chose qui remet l'humain au centre de l'équation, je pense donc que c'est un festival utile. De me retrouver au centre d'un festival de cinéma dans l'absolu, pour moi c'est quelque chose de fantastique car le monde du cinéma c'est celui que j'aime le plus et en plus, un cinéma utile, pour moi c'était les deux choses qui font que je me sente participer à quelque chose qui a du sens.

D'autant plus que ces dernières années vous vous consacrez à la musique de film...

Ça a toujours été ma passion. Je dis souvent que si je remonte très loin dans ma mémoire je pense que je fais de la musique pour faire de la musique de film. Ces dernières années, en réalité, en parallèle de mes activités actuelles pour lesquelles les gens me connaissent plus, en l'occurrence la direction d'orchestre et puis même avant cela, la production musicale dans le sens production d'albums etc. il y a eu toujours en parallèle ce travail-là pour l'image. En 2003 j'ai eu l'opportunité en France de faire ma première musique pour un long métrage français, un petit film romantique qui m'a permis de faire une certaine musique très axée Broadway et le jazz des années 1960. Ensuite, il y a eu d'autres collaborations...

Il y a aussi le film tunisien Les palmiers blessés de Abdelatif Benameur dont vous avez composé la musique l'on se souvient...

Effectivement, j'ai travaillé aussi avec Ameur Bahloul sur Kindil qui, à l'origine, devait être un téléfilm qui a ensuite, été requalifié de long métrage. Le plus récemment, en long métrage cinéma, ça a été avec Ahmed Rachedi sur le film Krim Belkacem. J'ai eu donc quatre projets pour le cinéma.

Et aujourd'hui je crois savoir que vous comptez aussi travailler sur un film marocain.

Je travaille avec un réalisateur très intéressant, marocain, qui s'appelle Chawki Laoufir, qui pour moi est un des futurs grands réalisateurs maghrébins. Il est en devenir. Il possède énormément de technique. C'est quelqu'un qui a beaucoup de connaissances assez impressionnantes en cinéma. Il enseigne le cinéma à Paris et il travaille beaucoup pour la télé marocaine. Il est en préparation de son long métrage, mais c'est vraiment quelqu'un qui fera date dans l'avenir. C'est en tout cas une des plus belles rencontres que j'ai faites. C'est quelqu'un d'extraordinaire. Un fin technicien, très cultivé et un musicien de surcroît. Je collabore avec lui. Nous avons fait pas mal d'exercices ensemble. A ce jour nous avons fait deux téléfilms et deus séries.

Qu'avez-vous pensé de la sélection filmique cette année au Fica?

J'ai senti deux niveaux. Celui où on est dans le cinéma quel qu'il soit, en devenir ou plus ou moins confirmé avec la maîtrise qui va avec et le reste on n'était pas vraiment dans le cinéma. Par exemple, le film burkinabé La forêt de Niolo relevait plus du téléfilm. On a regretté que le film soit en français. Il aurait gagné à être dans une langue originale sous-titrée. En même temps, les acteurs sont de différents pays africains donc c'est compliqué un peu. Après, comme l'ont dit beaucoup de gens à la sortie de la projection du film sur Abdelhamid Benzine on ne peut rester de marbre devant cette histoire extraordinaire. Toutefois, tout au long du film je me suis demandé où était le réalisateur. C'était quoi son propos? Je n'ai pas vu son parti pris. Or, il me semble que le cinéma c'est le discours d'un réalisateur sur un fait donné, même si c'est subjectif. Ça ne me gêne pas. Je veux connaître son regard, qu'est ce qu'il pense, comment il voit les choses. La façon de filmer je l'ai trouvée un peu caricaturale, je pense qu'il y avait assez de matière dramatique et historique pour ne pas avoir à forcer le trait sur les gentils et les méchants. Je dis cela du haut de ma petite expérience, car je ne suis ni historien ni cinéaste. Je ne sais pas qui a dit pendant ce festival que le cinéma était trop important pour le laisser aux mains des seuls cinéastes... Je trouve cela très juste. C'est bien. Parce que ça permet d'enrichir le cinéma peut-être. Par des avis qui sembleraient moins légitimes, mais du coup plus intéressants, avec plus de recul...

Qu'avez-vous pensé du film En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui?

Sa présence dans le Festival du film engagé m'a posé un problème. Dans un premier temps, je n'avais pas compris en quoi ce film était engagé. Et pourtant... Après, il fait partie de ces films qui ne se révèlent pas tout de suite. Quand on ne connaît pas l'histoire du film et dans quelles conditions, il a été fait, quand tu reçois cela de l'extérieur ça fait un peu mosaïque. On sent immédiatement en tout cas qu'on a affaire à un cinéaste en face. Qui connaît le cinéma, avec des petits clins d'oeil à droite et à gauche. Ce que j'ai le plus apprécié dans le film c'est qu'en toute évidence c'est quelqu'un qui a démonté la structure normale d'un film. On est dans un montage spécifique. Comment raconter une histoire autrement. Je trouvais sur ce point une virtuosité assez intéressante. Après, effectivement, moi, quand j'aborde une oeuvre d'art que ce soit un film, une musique, une pièce de théâtre ou un roman, j'ai tendance à chercher l'unité de l'oeuvre. En réfléchissant bien après, il y a autant de films que de spectateurs c'est-à-dire chacun voit son film et moi j'ai réussi à me trouver un fil conducteur. Ce film-là, on pourrait peut-être le qualifier de féministe de mon point de vue car pour moi c'est l'histoire de trois femmes qui prennent des décisions alors que les hommes sont incapables de les prendre. Ça peut être vu comme ça. Avec un petit bémol pour la dernière histoire où le médecin campé par Hassan Kechache prend quand même sa responsabilité. Là où moi j'ai un peu de mal, car on ne comprend pas pourquoi. Est-ce de la culpabilité? Pourquoi va-t-il vers cet enfant-là, surtout après son mariage, ça on ne le comprend pas. Ce que le réalisateur me donne à comprendre dans le film j'essaye de l'assembler et là j'ai du mal à comprendre. Mais, mis à part ça, je me suis par exemple posé la question de pourquoi l'agression dans la première partie du film? L'agression a mis l'homme, d'apparence forte dans une positon de faiblesse, de peur. Pour moi, en fait c'est un film sur la peur et la responsabilité. Après, il faut le lire entre les lignes. Mais c'est ça le cinéma.

Interview EL WATAN Fev 2006

Farid Aouameur (Chef d'orchestre et arrangeur) : «Il faut formaliser et écrire la musique algérienne» Elwatan; le Mardi 14 Fevrier 2006

Farid Aouameur est un jeune maestro algérien à la fibre orchestrale et instrumentiste déclinant une mélomanie foncièrement algérienne et espérantiste. Let the music play ! Vous êtes à Alger pour l'enregistrement d'une série d'émissions musicales et de divertissement à la la télévision algérienne. Comment a germé cette idée ?

L'idée a germé depuis trois ou quatre ans avec le réalisateur Farid Benmoussa et moi à propos d'une éventuelle émission musicale. Au début, c'était plutôt une discussion entre amis. Mais depuis septembre 2005, où j'étais venu à Alger pour un concert de promotion d'un opérateur de téléphonie mobile, Farid Benmoussa m'avait relancé et sérieusement concernant cette émission. J'avais pensé à un temps et autre délai de réflexion et de préparation jusqu'à la fin de l'année. Cependant, Farid Benmoussa m'a rétorqué que c'était pour la semaine prochaine et que les gradins étaient disponibles pour le public. (rires). En fait, de son côté, il avait énormément avancé dans le projet de ce concept musical. Cela a démarré sur les chapeaux de roue et je ne m'y attendais pas. Depuis, on est sur cette belle aventure en ayant mis en place la production depuis janvier. L'émission intitulée «Hana Fil Hana» nous a agréablement surpris. Lors de ces émissions, on a eu le plaisir de vivre des moments forts, des instants musicaux assez étonnants et des duos improbables. On a réuni Youcef de Intik No woman no cry, Hassen Dadi interprète le chaoui ou encore Chérif Hamani avec Réda Doumaz. On a invité Lotfi Attar, le guitariste de Raïna Raï, Akli Yahiaten, le grand chanteur kabyle et Jacob Devarieux de la formation de Zouk Kassav. C'est une manière de dire que la musique algérienne appartient à ceux qui l'aiment et non pas à ceux qui ont le passeport algérien.

Vous êtes aussi agitateur de talents...

On a découvert une jeune chanteuse d'expression kabyle, Taos (ex-Famila) qui a une superbe voix et très douée, Allilou, un interprète et instrumentiste. C'est ma grande satisfaction.

Vous avez déjà un pedigree musical algérien en tant qu'arrangeur et compositeur. Vous avez produit les albums de Takfarinas, Khaled, Chérifa, Réda Doumaz, Chérif Hamani...

Si vous voulez, je suis ouvert à toutes les musiques, notamment algériennes. A mon avis, il faut permettre que la musique algérienne soit exportable et «partageable» avec d'autres gens. J'ai toujours posé le problème de la formalisation de cette musique à travers son écriture. On ne pourra pas faire l'économie de cela. Autant s'y atteler dès aujourd'hui. La touchia maya peut être interprétée par un Japonais, un Vietnamien, un Zoulou... si cette personne sait lire la musique. Au moment où l'on parle, il n'y a pas de recueil sur lequel tout le monde est d'accord concernant l'écriture caractéristique par exemple du rythme goubahi, berouali, ou telle mélodie soit pensée comme cela. Au Maroc et en Tunisie, on l'a déjà fait. C'est l'écriture du diwan. L'Algérie a la chance de jouir d'une culture musicale plurielle, diverse et très riche. Vous avez encore «sévi» sur le dernier album de Khaled Ya Rayi. Vous aimez travailler avec lui... Etes-vous complices ? (Rires). Avec Khaled, oui ! Il y a une véritable complicité entre nous. On s'est tout de suite bien entendus, car lui, autant que moi parle le langage du cœur dans la musique. Donc, on s'est rencontré spontanément sur l'essentiel de ce qui fait l'union entre deux artistes. Pour moi, Khaled est un grand musicien. Un musicien méconnu. Je fais partie des gens qui l'ont poussé à vivre ce côté musical de façon beaucoup plus affirmée, assumée et affichée. Dans tous les albums qu'il a fait notamment où figure Didi, Khaled décline une «patte» personnelle et un apport extrêmement important. Il a une capacité d'orienter la musique vers son feeling. Il y a peu d'artistes algériens qui ont cette qualité. Donc, sur Ya Rayi, cela a été pareil. Il m'a fait confiance pour les sessions d'enregistrement au Caire. Une étape très forte dans l'album. Une marque de confiance que j'ai retranscrit (musique égyptienne) fidèlement comme il le sentait et dans l'esprit qui l'anime.

Il y a aussi ce beau duo magique entre le Cubain Compay Segundo et Khaled, Saludo a Chango, que vous avez produit. Une autre belle aventure...

C'est un ami espagnol, un producteur qui voulait absolument contacter Khaled. Il m'a soumis le projet du duo entre Compay Segundo et Khaled. J'ai trouvé que c'était une très bonne idée. Après, Khaled et Compay Segundo sont entrés en contact... J'ai eu le plus grand honneur d'avoir pu travailler sur une bande d'un chanteur cubain aussi important. Quand j'ai écouté la voix de Compay sur le master, j'avais l'impression d'être quelqu'un de très privilégié. Travailler sur la musique de Compay Segundo, cela ne vous arrive qu'une fois dans la vie. Et puis, Saludo a Chango est le premier titre de l'album. Un double honneur ! C'était génial, un cadeau quoi !

Farid Aouameur est très connu en Egypte...

J'ai même vécu quelques mois en Egypte. J'y avais aussi mon appartement, là-bas. J'y ai travaillé avec des artistes. Je me suis vraiment immergé dans le monde de la chanson orientale, et j'ai eu l'immense honneur de travailler avec les meilleurs violonistes.

Vous avez produit aussi des titres de plusieurs artistes égyptiens...

J'ai eu le plaisir de produire le duo Khaled et Amr Diab qui s'intitule Galbi. J'ai travaillé avec Hani Chaker, Leïla Ghofrane, Mustapha Kamar, Shirine Wagdy avec Shahinez, un jeune talent qui est devenu connu dans une émission de téléréalité. Quand je fais de la musique égyptienne, je ne le fais pas comme un Egyptien. Mais dans la façon de l'interpréter, les Egyptiens s'y retrouvent. Parce que je capte leur «truc», comme celle de Compay Segundo et des vibrations de la musique kabyle. J'ai fait dix morceaux de musique kabyle, pourtant, je ne parle pas un mot de kabyle. Je décrirai mon travail comme celui d'un caméléon. Vous vous posez sur une musique et vous absorbez sa substance, jusqu'à la couleur qui vous imprègne. Et après, vous laissez faire votre personnalité musicale.

Un projet, une autre idée en perspective...

Tout ce qui est orchestral m'intéresse. Parce qu'aujourd'hui, la musique algérienne souffre de cette vacuité, due à une histoire de politique culturelle. Alors que le côté orchestral a été inauguré par de grands maîtres comme Iguerbouchen. J'ai envie de continuer leur travail et suivre leurs pas qui sont géants parce que c'est un labeur d'architecture. Categorie(s): temps présent

Auteur(s): K. Smaïl

Tournée hommage à Cherif Kheddam

d-concert-en-hommage-a-cherif-kheddam-sous-la-direction-de-farid-aouameur-6c2ed.jpg

Interview "El moujahid" du 3 janvier 2016-

INTERVIEW 3 JANVIER 2016

Dans un entretien accordé à notre journal, le maestro Farid Aouameur a expliqué que l’Orchestre national algérien n’a pas suspendu ses activités. Il est temporairement à l’arrêt pour des raisons d’ordre organisationnel. M. Aouameur annonce, par ailleurs, la diffusion du 1er prime de la 7e saison Alhane wa chabab, le 8 janvier prochain, et fait savoir que près de 1.500 chansons du patrimoine musical algérien ont été retranscrites, tous styles confondus.

El Moudjahid : Parlez-nous du projet de l’Orchestre national de la variété algérienne que vous avez créé en 2014. Est-il à l’arrêt ? Avance t-il ? En quoi se distingue-t-il des autres orchestres qui existent déjà ?

Farid Aouameur : Avant de répondre à votre question, pour moi, il s’agit de l’Orchestre national algérien, et non de la variété algérienne, qui est pour moi un qualificatif réducteur, car la variété n’est qu’une partie de la musique algérienne. Si j’ai accepté initialement cette appellation, c’est uniquement pour qu’on fasse le distinguo entre notre projet et celui de l’Orchestre symphonique algérien, mais désormais, ce sera l’Orchestre national algérien. Cet orchestre a vu le jour en juillet 2014, suite à ma nomination officielle par l’ex-ministre de la Culture, Mme Nadia Labidi, pour un mandat de trois ans, pour prendre en charge la musique algérienne dans tous ses aspects : traditionnel, électronique, moderne. Enfin, tout ce que les gens ont pu connaître de moi dans les différentes émissions que j’ai conçues pour la télévision algérienne, durant mes 25 ans de parcours. Donc l’idée, c’était de monter un grand orchestre, ambitieux, qui comprend trois versions, à savoir la petite, qui compte une trentaine de musiciens, la moyenne une cinquantaine, et la grande une centaine. En fait, c’est le même orchestre avec trois versions et trois configurations différentes. L’idée, c’était de s’occuper enfin de la musique algérienne, mais surtout de le faire dans un cadre technique et artistique convenable, qui répond aux normes en vigueur partout dans le monde et avec une équipe technique, artistique et administrative, et des activités mensuelles.

Comment fonctionne-il et à quel rythme ?

Nous avons commencé avec une cadence de deux concerts par mois, et avec un programme artistique propre à l’orchestre. À cela s’ajoute l’ensemble des collaborations avec les institutions algériennes, que ce soit la télévision ou les autres organismes intervenant dans l’animation culturelle et artistique du pays. Je précise que le premier concert réalisé par cet orchestre s’appelait «El-Janoub» et s’est tenu dans le Sud, ce qui constitue un signal fort attestant de la destinée nationale et algérienne de ce projet. Notre seconde activité a été conçue à la faveur de la commémoration du 1er Novembre. Le projet était dédié aux jeunes talents algériens avec lesquels nous avons revisité les plus célèbres chansons patriotiques remises au goût du jour. Quant à notre 3e projet, c’était un hommage rendu à Cherif Khaddem et une occasion pour sortir un peu d’Alger et se produire dans d’autres villes. Pour ce concert précis, nous nous sommes produits à Tizi Ouzou et à Béjaïa. En mars dernier, et à l’occasion de la Journée mondiale de la femme, nous avons monté un programme rendant hommage à la femme algérienne, auquel ont participé des chanteuses jeunes et inconnues du grand public, mais complètement décomplexées et prêtes à affronter le monde avec un répertoire chanté dans quatre langues. D’ailleurs, le projet s’appelait «Algériennes du monde».

Si nous avons bien compris, le projet de cet orchestre national n’a pas encore abouti à 100%, mais il est opérationnel tout de même ?

Il est vrai que l’activité de l’orchestre s’est provisoirement arrêtée, pour des raisons de nature organisationnelle, car il faut savoir que c’est un projet long dont il faut assumer les mécanismes de sa prise en charge, qui exige un travail technique et administratif. Ce type de projets doit avancer avec des bases administratives très solides,et c’est bien pour cette raison que j’ai préféré arrêter temporairement l’activité. Entre temps, nous avons marqué une présence symbolique au Festival international du film arabe d’Oran, en juin 2015, et se produire en concert avec l’ONCI, en attendant de passer à la vitesse supérieure, comme je me suis engagé publiquement devant la presse nationale. C'est-à-dire organiser un grand casting à travers tout le pays, pour trouver les meilleurs musiciens algériens, mais ce travail est un peu long et compliqué à la fois, car il faut trouver les bons mécanismes administratifs pour le mener dans des conditions dignes d’un travail professionnel. En attendant, nous essayons de faire de notre mieux et de faire en sorte que l’activité ne s’arrête pas complètement.

Depuis votre retour en Algérie et dans l’ensemble des projets que vous avez dirigés, notamment le concert inaugural d’Alger, capitale de la culture arabe, en 2007, ou celui de l’ouverture de la 9e édition des Jeux africains, et même Alhan wa chabab, vous avez toujours intégré dans vos équipes un grand nombre de musiciens étrangers, occidentaux notamment. L’Orchestre national algérien serait-il composé à 100% de musiciens algériens ?

Je vous remercie pour la question, parce qu’elle me donne l’occasion de faire mon propre bilan. Quand je suis revenu en Algérie en 2005, j’avais monté un orchestre composé à 70% d’étrangers et 30 % d’Algériens, pour le compte de l’émission «Hna fi hnan», produite par la télévision algérienne. Aujourd’hui, je suis sur le point de démarrer la 7e édition d’«Alhan wa chabab», mais depuis ma dernière participation au festival de Timgad déjà, en juillet, je suis aux commandes d’un orchestre à 100% algérien.

Vous avez lancé, il y a quelques années, le chantier de la retranscription de la variété algérienne ancienne. Peut-on avoir une idée sur l’état d’avancement de cette opération et combien de chansons ont été retranscrites ?

En fait, c’est un chantier qui s’est imposé de lui-même, car en lançant mes premières émissions télé et en choisissant des chansons, j’ai demandé autour de moi, si l’on pouvait récupérer les partitions de ces chansons, en vain. Du coup, je n’avais pas le choix et je me suis retrouvé obligé de faire moi-même ce travail. Car il faut savoir que ma formation de base est l’orchestration, mais pour diriger un orchestre, il faut lire la musique, il n’y avait aucun organisme pour fournir ces transcriptions, alors il a fallu que je le fasse moi-même, je ne pouvais pas faire autrement. J’ai commencé il y a 10 ans, aujourd’hui, j’en suis à 1.500 chansons retranscrites, tous styles confondus. Mais, il est important de préciser que j’ai fait tout ce travail à titre personnel. Il ne s’agit pas d’un chantier lancé par un organisme public, même si j’ai proposé, à maintes reprises, à certains responsables compétents de les aider à piloter des chantiers de retranscription du patrimoine musical, que ce soit de la musique andalouse, chaoui ou autres. D’ailleurs, il y a des gens qui ont fait ce travail-là...

Revenant à Alhan wa chabab, le 1er prime de la 7e édition est prévu pour quand et quelles sont ses nouveautés ?

Pour moi, Alhan wa chabab  est un projet d’État qui met en avant toute l’Algérie, et en valeur ses meilleurs talents qui n’ont pas pu être pris en charge par le système de production de disques. D’ailleurs, certains des élèves de cette école sont partis à l’étranger et ont participé à d’autres programmes où ils ont fait fureur. Pour les jeunes, ce projet représente un espoir et j’espère qu’il pourra continuer au-delà des personnes qui le dirigent maintenant. Aujourd’hui, les talents en Algérie sont en train de mourir, parce qu’ils ne sont pas valorisés. Malheureusement, à notre niveau, la valorisation de ces talents est modeste et ne dure que deux mois et demi, le temps d’une émission (du 1er prime jusqu’à la finale) et souvent les gens s’interrogent pourquoi les artistes révélés par ce programme ne sont pas pris en charge, par la suite. Justement,  Alhan wa chabab a révélé à quel point le circuit de la production musicale en Algérie est ravagé, idem pour celui de la distribution des disques. Et c’est dans ces deux points que réside tout le paradoxe de cette émission qui révèle, à la fois, les talents, mais aussi l’absence dans notre pays des institutions et structures commerciales ou autres de leur prise en charge, à quelques exceptions près, à l’exemple de l’ONCI qui fait travailler ces jeunes talents, et à qui je tiens à rendre hommage. Pour ce qui est du nouveau, l’émission évolue et se remet en question chaque année, évidemment dans le cadre des moyens qui lui sont attribués. J’entends parfois des remarques et qui, à mon à vis, sont justifiées, reprochant au programme l’absence d’un saut qualitatif. Par rapport à cela, je dis seulement que pour qu’il y ait un saut qualitatif, il faut qu’il y ait un saut dans les moyens. Il faut savoir que ce type de programmes dans les mondes arabe et occidental se fait avec des moyens qu’on ne peut pas concurrencer. Par contre, je peux vous dire que vu le volume de la participation des téléspectateurs via sms à Alhan wa chabab, c’est simplement phénoménal. L’Algérie s’identifie à cette émission. Car elle est faite pour les Algériens et par les Algériens. C’est un projet prioritaire en termes d’image pour l’Algérie. Ce que nous disons aux jeunes qui intègrent l’école chaque année : «C’est possible de vivre votre rêve en Algérie. Pas besoin de partir ailleurs pour le faire !»

Propos recueillis par Amel Saher

Interview pour l'EXPRESSION du 4 Août 2010

LE MUSICIEN-COMPOSITEUR FARID AOUAMEUR À L’EXPRESSION

«La musique s’est imposée à moi»

04 Août 2010 - Page : 20

Comme pas mal d’artistes, Farid Aouameur a commencé par la musique andalouse pour se diriger après vers d’autres univers plus personnels et, explorer sa voie intérieure. Aujourd’hui, artiste prolixe et multiforme, il se dévoile à nous, ici, dans toute son authenticité. Il a récemment signé la composition musicale du film Les Palmiers blessés de Abdelatif Benamar. La musique de film, sa passion secrète depuis toujours. Ecoutons-le..

L’Expression: Pourriez-vous nous parler du travail entrepris pour la composition musicale du film Les Palmiers blessés de Abdellatif Benamar?

Farid Aouameur: Cette musique de film est une belle étape dans mon parcours. Depuis quelques années, j’écris des spectacles en commençant par le concept et en finissant par le moindre des détails techniques. Cette écriture m’a donné un recul par rapport à la musique et je crois que j’ai appris l’importance d’écrire la musique la plus «juste» possible. Donc, ce film vient à un moment où j’ai capitalisé pas mal d’expérience en ce qui concerne le rapport du son (en général et la musique en particulier) et l’image. Je ne me suis pas positionné dans ce film comme un «fabricant de mélodies» pour «entraîner» le spectateur dans les émotions de premier degré. D’ailleurs, ce genre du rapport avec ceux qui écoutent ma musique ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est susciter un questionnement - chez moi et les autres - qui amène en général une exploration de tous les possibles. C’est pour ça que j’ai choisi la voie de l’art. Pour en revenir au film, je dirais que d’une façon générale, M.Abdellatif Benamar m’a appris à aller encore plus loin dans l’exploration du potentiel d’un travail artistique. J’ai été très touché par sa capacité à gérer ses incertitudes de scénariste et de réalisateur. Pendant un an, nous nous sommes questionnés sur la guerre, les héros, les traîtres, l’histoire et la mémoire...Ces questionnements me semblaient fondamentaux, car comment écrire la musique sans aller dans les profondeurs des racines de ces «palmiers blessés?» Tout ça pour vous dire que le travail entrepris pour la composition de cette musique a été pour moi à 70% un travail psychologique sur moi-même, et 30% un travail de technique purement musicale. J’aimerai bien que les gens comprennent à quel point une oeuvre artistique nous coûte en énergie et en remise en question...

Pour bien refléter l’atmosphère du film, avez-vous été amené à regarder certaines séquences du film?

Habituellement, les compositeurs de musique de film sont plutôt sollicités à la fin. On leur donne le scénario et la vidéo du montage (souvent provisoire) pour qu’ils écrivent, enregistrent et mixent la musique en collaboration avec le réalisateur et l’équipe qui gère la musique (superviseur musical, réalisateur de la bande son, ingénieur du son, copiste...etc).En ce qui me concerne, j’ai été sollicité très tôt par M.Benamar. Il m’a donné le scénario et nous en avons parlé pendant un an! Je suis allé à Tunis pour rencontrer les acteurs, visiter les lieux de tournage et absorber toutes les ambiances (qui m’habiteront par la suite physiquement pendant toute la composition) avant qu’une seule image ne soit tournée! Quand est arrivé le tournage, j’ai également assisté à quelques séquences. La musique a donc «grandi» en parallèle avec toutes les étapes de fabrication du film, ce qui nous donne cette impression de fusion des sons dans les images. Vous savez, pour retranscrire musicalement une atmosphère, il faut la vivre au plus profond de vous-même. C’est pour cela qu’après avoir fait cette bande originale, j’étais extrêmement fatigué car j’avais profondément intériorisé tout ce qui se passe dans le film (ce qui fait beaucoup d’émotions remuantes...)

On croit savoir que vous avez fait des études en scénario. Dans quelle mesure cela vous aide-t-il à la création de la bande originale d’un film?

Comment peut-on travailler sur un scénario sans savoir comment il est construit? Déjà enfant et au désespoir de mes parents, je démontais tous mes jouets pour comprendre comment ils fonctionnaient! C’est en moi depuis toujours. Un film pour moi, c’est d’abord une histoire et faire une musique de film, c’est rajouter une trame inconsciente au scénario déjà existant. Je crois qu’on peut dire, sans exagérer, que la musique de film est un scénario dans le scénario! La musique devient un acteur supplémentaire et invisible, une voix off puissante. C’est pour cela qu’une musique peut «pousser» un film ou le détruire. Elle peut complètement pervertir le sens d’une scène ou la sublimer. Un compositeur qui ne s’intéresse pas à la science du scénario se coupe, à mon sens, de ce qui donne toute la profondeur de la musique de film.

Vous n’êtes pas à votre première expérience au cinéma, vous êtes aussi compositeur pour des artistes comme Khaled et concepteur de spectacles, un touche-à-tout en somme, d’où puisez-vous l’inspiration?

J’ai toujours dit qu’il y avait UN art et plusieurs formes d’art... Je ne me suis jamais limité à la musique seulement. J’ai toujours été attiré parce que l’art provoquait comme questionnements. Pour moi, être artiste c’est être à l’affût de soi- même et de ce qui nous entoure pour ne pas dire ce qui nous enrobe. L’art est une des multiples voies que l’humain peut emprunter pour chercher et peut-être trouver sa vérité. L’art est sacré. Parfois, je sens que mon inspiration vient de cette partie de moi-même que j’ai appris à écouter et à suivre avec le temps. Mais d’autres fois, je sens cette inspiration arriver d’ailleurs. Un peu comme un vent qui vient de loin et que je capte avec les sens que j’ai développés au fur et à mesure de mon parcours. Difficile de dire d’où vient l’inspiration, mais je peux dire qu’elle ne vient que si on a foi en elle! C’est sûr ça au moins!

Quels sont les moments de la journée que vous préférez pour composer et pourquoi? Peut-on connaître vos projets?

Même si j’aime la nuit et son silence, je n’ai pas de moment privilégié. Quand la musique s’impose dans ma tête, je m’asseois et j’écris. C’est simple! De la même façon, mes projets mûrissent un certain temps pour ne pas dire un temps certain. Je ne sais jamais quand ils sont à point. Je devais finir un album personnel en 2009, mais comme je ne suis pas encore convaincu par le résultat, c’est encore en cours. Le mot «art» suggère un autre mot que j’aime beaucoup: artisan. Je préfère donc l’artisanat à l’industrie...Sinon, des futures collaborations pour d’autres musiques de film. J’espère passer le plus de temps possible dans ce domaine car j’avoue que c’est pour faire de la musique de film que j’ai choisi un jour de faire de la musique!

Comment êtes-vous venu à la musique? Quels ont été vos mentors si l’on peut dire? Très jeune, j’ai été initié à la musique andalouse, mais ce n’était qu’un passe-temps. Adolescent, le besoin de musique a commencé à grandir et très vite, et en autodidacte, je me suis retrouvé à faire du jazz et jouer avec des groupes à Alger. Vers la fin des années 1980, la musique s’est imposée à moi comme un chemin de vie, et à 21 ans, mon diplôme d’ingénieur informaticien en poche, je décidai de partir à Paris pour étudier l’écriture, la composition, l’orchestration, la prise de son, mixage...etc... Donc en réalité, je ne suis pas venu à la musique, mais c’est elle qui s’est imposée à moi! Et elle n’est pas venue seule! Elle m’a amené de grands maîtres en la personne de Miles Davis par exemple, mais aussi Igor Stravinsky. J’ai écouté et lu d’autres maîtres comme Kandinsky, Djallal Eddine Erroumi, Platon, El Halladj ou saint Augustin... Je ne crois pas avoir eu de gourou particulier. Mais tous ceux qui m’ont influencé ou m’influencent encore sont liés par une similitude: l’incessante recherche de leur vérité intérieure qui semble être un luxe pour nous aujourd’hui en ces temps de mondialisation effrénée. Mais justement, pour équilibrer l’effet de ce que je pense être notre civilisation humaine en déclin, cette quête de vérité me semble inévitable.

Propos recueillis par O. HIND

Interview M. Ben AMMAR: "Les Occidentaux ne savent pas nous voir..."

Abdellatif Ben Ammar. Cinéaste tunisien : Les Occidentaux ne savent pas nous voir

En 1961, Bourguiba était au pouvoir. La même année, l’armée coloniale a massacré des civils à Bizerte, une ville du nord de la Tunisie. Pourtant, le pays était indépendant depuis au moins cinq ans. Les Palmiers blessés, coproduction algéro-tunisienne présentée au festival de Carthage, revient sur cet épisode de l’histoire. Rencontre avec son réalisateur.

  Les Palmiers blessés évoque une mémoire en fragmentation. Y a-t-il beaucoup de difficultés à reconstituer la mémoire ?

Avant d’être artiste, je suis un citoyen. Citoyen conscient de son appartenance civilisationnelle. Or, l’amnésie est un frein à notre développement. Dans plusieurs pays arabes, l’histoire a été instrumentalisée. Les jeunes d’aujourd’hui paraissent sans passé, dépourvus de mémoire. Outre sa beauté, l’art cinématographique doit être utile. Et dans cette logique de l’utilité, je me suis dis que je vais poser un problème comme si j’étais porteur du message des jeunes. Ces jeunes disent : « Rendez-nous notre passé. » Voilà pourquoi j’ai décrit une mémoire fragmentée dans Les Palmiers blessés. Une mémoire parfois contradictoire.

  Oui, une mémoire sélective, un personnage qui fait semblant d’ignorer des vérités historiques...

Parce que la blessure est encore vivante. Elle est là. Je pense qu’il est temps de donner au public arabe et maghrébin la possibilité de débattre sur l’histoire. Le Maghreb aurait pu être une entité totale. Cette entité n’aurait aucune difficulté à montrer ses forces et à être dynamique. Elle puiserait sa force dans la même appartenance culturelle, dans une même histoire. Quand je me balade à Alger ou à Tunis, il n’y a aucune différence. On sent que les jeunes n’ont pas de mémoire. On les a privés de leur passé. Le cinéma fait rire, mais sert aussi à poser des questions aux intellectuels et aux décideurs de nos pays sur l’importance de l’histoire et sur la vérité historique.

  Mais est-ce que les jeunes, à l’image de Khalil dans le film, cherchent réellement à connaître leur histoire ?

C’est le résultat de la méconnaissance. Quand on éduque les enfants dans un présent matériel, cela donne un esprit particulier. Il y a des problèmes fondamentaux et objectifs qui se posent aux jeunes, comme le chômage et l’absence de moyens, l’absence d’avenir. Un jeune peut nous dire que ce qui l’intéresse, c’est le présent et le futur, pas le passé. Mais d’autres jeunes peuvent dire aussi : « Sans savoir ce qui s’est passé, nous ne pouvons pas savoir où nous allons. » Khalil est l’exemple de ce jeune qui a abandonné ses espoirs et qui devient fataliste. Alors, faisons de notre mieux ! L’histoire a toujours été écrite par les vainqueurs. Symboliquement, je m’adresse à une population cible qui a besoin d’espoir. On peut entrer dans un tunnel. Mais au bout de chaque tunnel, il y a une issue. Entrons dans la bagarre, on en sortira vainqueur. Je fonde beaucoup d’espoir dans notre jeunesse. Je compte sur son intelligence.

  Quel est l’apport de la couleur bleue, fort présente dans le film, à la trame ?

Comment a été vue l’image de nos pays par l’autre ? Elle est rouge, suintante de chaleur, avec un soleil écrasant et des yeux qui plissent. Cela est même décrit dans les romans tels que La Peste d’Albert Camus. Donc dans le film, il y a le froid, la pluie, le gris et le bleu. D’ailleurs, dès le début du film, l’écrivain (Neji Nejah) dit à Chama : « Bienvenue dans le point de l’extrême nord de l’Afrique. » C’est une manière de dire que nous avons notre « nord » aussi, que nos lumières et notre atmosphère ne sont pas celles qu’ils décrivent. Ne nous imposez pas cette image de nous-mêmes. L’Occident a toujours ce regard suspect sur l’être arabe. Il est soupçonné d’être en conflit avec la civilisation dominante. C’est considéré comme un élément à ne pas remettre en cause. L’être arabe est l’ennemi. La migration est refusée. On nous accuse de tout. Un profil s’installe dans leurs médias. Ils font même des travaux scientifiques pour essayer de dire qu’ils ont raison. Or, les Occidentaux ne savent pas nous voir. Je me dis : qui est l’être arabe ? Khalil, par exemple. Un être ordinaire, qui a de la densité et de l’élégance. Chama est un bout de chou. Mon choix s’est porté aussi sur les apparences. J’ai refusé de prendre des acteurs et actrices à la beauté italo-grecque, une beauté fort présente dans les productions libanaises. Leïla Ouaz représente, avec ses traits, une fille anonyme. Elle est néanmoins belle intérieurement. Elle est douce. Elle n’est pas dépourvue de qualités. C’est cela, ma description de la jeunesse. Je ne la vois pas versant dans la fanfaronnade. De la même manière que j’ai décrit dans le film le couple algérien, Noureddine et Nabila. Dans les productions européennes, notamment françaises, les couples algériens sont toujours présentés comme violents et les femmes portées sur les récriminations. Cela n’est pas vrai.

  Pourquoi avoir choisi Bizerte ?

C’est exprès. Savez vous que 30% de la population de Bizerte est d’origine algérienne ? Ces Algériens d’origine travaillent dans tous les secteurs comme la médecine, la poste, la pharmacie, l’enseignement... Bizerte est une ville qui a un passé, qui a ses morts, qui a abrité les nationalistes algériens. Bizerte a été le théâtre d’une violence inouïe, comme Sétif en Algérie.

  Il y a aussi cette scène de jam session, danse et musique improvisés, où l’on semble se lâcher complètement…

C’est un palier de respiration. J’installe la logique du vertige. C’est un petit tempo, un moment d’arrêt par rapport à l’histoire. Je me dis : je vais rendre hommage aux artistes. Des artistes qui se sont avérés d’excellents instrumentistes. Outre les artistes tunisiens, j’ai souhaité avoir des amis algériens. Je n’ai pas pu. Je voulais rendre hommage à Boudjemaâ Karèche. Ce qu’il a fait pour le cinéma algérien est extraordinaire. Je voulais le montrer dans un moment où il exulte. Nouri Bouzid a pris un violon dans ses mains en demandant comment faire ! Je dédie ce film à trois personnes. D’abord, au syndicaliste Farhat Hachad et à tous les martyrs qui ont offert leur vie pour défendre leur pays. Ensuite à Abdelkader Alloula, qui a dédié sa vie à l’art. Enfin, à Mohamed Mahfoud qui, comme journaliste, s’est battu pour montrer les dimensions tragiques de la guerre à travers l’information.

  Quel est l’apport de la musique dans l’évolution de l’histoire ?

Pour moi, chaque cinéaste devrait être musicien. Comme langage universel, il n’y a pas mieux que la musique. C’est le langage le plus parfait. On peut être sensible à la musique lapone ou japonaise et aux émotions qu’elle dégage. Dans le cinéma, la musique n’a pas un autre rôle que d’émaner de l’image, élément de compréhension supplémentaire et inavoué qui permet d’atteindre l’émotion. J’espère que les gens se pencheront sur la méthode avec laquelle nous avons travaillé, Farid Aouameur et moi. Je ne peux pas commencer, prendre un acteur pour lui confier des rôles, avant d’avoir discuté pendant des heures avec mon collaborateur premier, qui est le musicien. Un an et demi avant que le tournage commence, Farid Aouameur a été engagé pour le projet. Durant le casting, je faisais écouter de la musique aux acteurs. Farid Aouameur a travaillé dur. Nous avons passé des nuits entières à choisir les morceaux. C’était beau parce qu’on était en création.

  Mais pourquoi ce lien avec la deuxième guerre du Golfe de 1991 ?

Je suis contre toutes les guerres. On va à la guerre parce qu’on n’a plus d’argument. On ne fait plus confiance à l’autre, on se méfie de lui. Et c’est à ce moment-là qu’il y a recours à la violence. Et dans les guerres, qui paye ? Les innocents et les pauvres. On le sait. Or, les médias, qui chérissent la guerre d’ailleurs, estiment que les conflits sont les événements les plus importants à évoquer. Il y a cette quête du morbide, de la mort. Très vite, cela se traduit en chiffres : 300 morts par-ci, 500 par-là. Le chiffre, le chiffre… les êtres humains n’existent plus. Les guerres montrent les limites de l’intelligence de l’homme. La voix off, au début du film, dit : « J’ai appris dans les livres que la guerre est un mal absolu. Il est là. Toujours présent. J’ai fait exprès de choisir la date de 1991. A cette date, les violences commençaient et, en Tunisie, c’était l’anniversaire de violences. Tout est guerre autour de Chama… »

Bio express L’histoire est toujours présente dans l’œuvre cinématographique de Abdellatif Ben Ammar, 67 ans, d’une manière ou d’une autre. Dans Sejnane, qui a obtenu le Tanit d’argent du meilleur film aux journées cinématographiques de Carthage en 1974, il est revenu sur l’engagement d’un jeune dans le combat contre le colonialisme. En 1980, il a obtenu le Tanit d’or du meilleur film aux journées cinématographiques de Carthage avec Aziza, autre coproduction algéro-tunisienne dans laquelle il critique le matérialisme amplifié par les changements sociaux en Tunisie. En 2002, il a réalisé Le Chant de Noria où il a analysé, avec poésie, la désillusion des trentenaires. Abdellatif Ben Ammar a assisté des cinéastes de renom tels que Danil Moosman pour Biribi, en 1970 ; Roberto Rosselini pour Le Messie, en 1974 ; Claude Chabrol en 1975… Il fut le directeur de production de Franco Zeffireli pour Jésus de Nazareth, en 1976, et producteur délégué dans le long-métrage de Nacer Khemir, Les Baliseurs du désert, en 1983.

Par Fayçal Métaoui

Interview El Watan 19 Juillet 2010

Interview El Watan 19/7/2010



Farid Aouameur a appris la musique à l’école El Mossilia et au Conservatoire d’Alger. Il a joué avec des groupes tels que Sweet jazz. Informaticien de formation, il a approfondi ses études musicales à Paris à partir de 1989. Il a participé à plusieurs projets musicaux dont les festivités de «Alger, capitale de la culture arabe 2007» et la cérémonie de clôture du Festival culturel panafricain (Panaf) en 2009. Farid Aouameur a collaboré avec Khaled. Dernièrement, il a composé la musique du film Les palmiers blessés du Tunisien Abdellatif Ben Ammar. «En Algérie, la musique gnawie s’est transformée en karkabou club !»

Propos recueillis à Tunis par Fayçal Métaoui

Vous avez composé la musique du film Les palmiers blessés. Comment a été la collaboration avec le cinéaste Abdellatif Ben Ammar ?

Il n’est jamais facile de travailler pour un réalisateur tel que Abdellatif Benamar. Car, il demande que le compositeur de la musique s’implique corps et âme. On ne lui fait pas face qu’avec des notes. Il faut s’adresser à lui avec une certaine profondeur humaine. Avant d’arriver à la phase opérationnelle avec les mélodies, les maquettes et les orchestrations, nous avons passé une année de travail sur le scénario. Abdellatif Benamar m’a invité deux ou trois fois à Tunis. Je suis allé voir les endroits où il allait tourner, notamment le cimetière. J’ai vu ces endroits avant les acteurs. C’était une manière de m’imprégner de l’ambiance. Le mérite qu’a le réalisateur est qu’il m’a intégré au projet très tôt. Donc, je respire ce film depuis plus d’une année. La phase opérationnelle a commencé en août 2009 et s’est achevée en décembre de la même année. Ecrire et mixer la musique m’a pris six mois en tout.

Il y a une scène, qu’on voit souvent dans le cinéma russe, avec cette troupe de musiciens qui débarquent une nuit de réveillon pour jouer une musique gaie et triste à la fois. Une scène qui marque surtout que Nouri Bouzid semblait ravi de jouer le violon !

C’est l’énergie du désespoir ! Nous avons donné un titre bizarre à ce morceau, Tunisian jam session. Le Jam-session est une réunion de musiciens qui pratiquent, en live, une improvisation pure.

Ce n’est pas une première expérience pour vous de composer de la musique pour un film ?

Oui, j’ai déjà participé dans un film français, Quand les anges s’en mêlent et le film algérien El Kindy. Cela fait 25 ans que je fait de la musique avec un seul objectif : faire des bandes originales pour les films. J’en suis à mes premières collaborations. Je tente de travailler selon les standards américains.

En Algérie, on évoque souvent le défunt Ahmed Malek, mort presque dans l’anonymat, pour parler de la musique pour le cinéma..

En Algérie, je pense qu’on ne fait pas de musique de films, mais de la musique à l’image. Ce n’est pas pareil. Le germe créateur de la musique pour le cinéma est le film lui même. On ne doit pas plaquer une musique sur une image. Parfois, on fait dire à la musique ce que l’image dit déjà. Les grands compositeurs mettent toujours en avant l’idée de complémentarité entre les images et la musique. Sinon, on tombe dans la redite et dans la lourdeur. Je voudrais bien me consacrer à la musique pour le cinéma. Je suis équipé pour cela. J’ai un studio à Paris spécialisé pour cela. Je veux faire des films avec des symphoniques. La majorité des musiques des films américains sont faites avec de vrais orchestres. J’ai donc envie de réhabiliter la culture de l’orchestre et les métiers qui sont autour de l’orchestre, tels que le répétiteur et le copiste. Un orchestre ressemble à une équipe sportive avec un préparateur physique et un directeur technique. C’est toute une vie !

Vous semblez amer sur votre travail musical en Algérie. Pourquoi ?

Au-delà des grands événements de 2009, je garde un goût amer de ce qui a été fait en Algérie. J’aime faire des choses qui ont du sens. Le cinéma me permet de donner un sens à la musique. Travailler pour la chanson comme je l’ai fait, c’est amusant mais je n’ai pas trouvé chez les interprètes quelque chose qui stimule ma créativité en tant que musicien ou compositeur. Si vous faites attention à mes collaborations pour la chanson, vous constatez que j’ai travaillé souvent en tant qu’arrangeur ou orchestrateur, rarement en tant que compositeur. Je veux bien composer, mais les gens pour qui je travaille ne m’inspirent pas ! Avec tout mon respect pour ces gens-là.

Mais êtes-vous satisfait de votre collaboration avec la Télévision algérienne (Hna fel Hna, Alhan oua chabab) ?

Je parle de ce que j’ai vu. Cela peut plaire ou pas. Il faut qu’on soit honnêtes et objectifs. En 2006, j’ai eu la chance de participer à l’émission, Hna Fel Hna. Evidemment, nous n’avons pas changé le monde, mais il y avait des propositions respectueuses vis-à-vis de la musique, des musiciens, des chanteurs et de l’image. La ministre de la Culture nous a fait confiance pour prendre part à des grands événements tels que «Alger, capitale de la culture arabe» et le Festival culturel panafricain (Panaf). La musique a besoin de gens qui la portent.

Existe-t-il une crise de la composition musicale en Algérie ? Le raï est en perte de vitesse et les jeunes s’orientent de plus en plus vers la diwane ou le gnaoui ?

La crise est mondiale. En Algérie, pour paraphraser un ami chanteur, on ne joue pas de la musique gnawie, c’est plutôt un karkabou club ! Je n’aime pas du tout cette manière d’interpréter ce genre musical. Il y a vingt ans, on faisait des choses intéressantes. Aujourd’hui, tout le monde saute sur le gnawi, avec ce côté thé à la menthe et chameau ! Alors que le gnawi est une musique rituelle qui a une profondeur historique et mystique. Cela veut dire beaucoup de choses. On ne pas s'improviser maâlem. Pour cela, il faut avoir au moins appris le diwan et avoir maîtrisé le jeu du gumbri. Certains se servent des saveurs et des couleurs de la musique gnawie pour préparer des sauces. Si on ne maîtrise pas le dosage des épices, le repas devient indigeste. On compense un manque de conception par des colorations. C’est le problème qu’a eu le jazz à un moment donné. Les grands créateurs de jazz existaient dans les années 1960, comme Coltrane ou Parker. Ils avaient créé la liberté et la folie, le jazz ! Après, dans les années 1990, on a coloré le jazz avec le rock, puis il y a eu le world-jazz avec des musiques diverses...Ce n’était pas du nouveau jazz mais une nouvelle forme de jazz. Il n’y a plus de pensée.

Et pour le raï ?

Pour le raï, avec la consécration internationale de Khaled, l’Algérie a eu un retour sur un investissement qu’elle n’a jamais fait. L’Algérie n’a jamais investi dans la musique. On a marginalisé des compositeurs tels que Igerbouchène ou Merzak Boudjemia. Arrive un talent qui s’appelle Khaled, qui aurait pu être quelqu’un d’autre, et qui a été pris en charge par des maisons de disques françaises. Elles ont fait de lui une personne connue. Après, Khaled a été utilisé jusqu’à la moelle. Et pour des considérations géopolitiques et sociologiques, le raï a été mis de côté et tout ce qui va avec, chanteurs compris. Avec le film Buena vista social club,Wim Wenders a révélé une certaine musique cubaine qui existait déjà. A Cuba, les gens ne mangent pas à leur faim, mais la musique n’est pas mise de côté. Il y a une école et une instruction musicale fortes. Des années après la sortie de Buena vista social club, tous les festivals de jazz ont été envahis par la jeune génération de musiciens cubains. Khaled a fait connaître le raï mais n’a pas révélé grand chose, car nous n’avons pas d’école musicale. F.M

Avant première du film "Les palmiers Blessés" à Tunis, au festival de Carthage

Projection du film "Les palmiers Blessés" à l'ouverture du festival de Carthage le 8 juillet 2010