LE MUSICIEN-COMPOSITEUR FARID AOUAMEUR À L’EXPRESSION

«La musique s’est imposée à moi»

04 Août 2010 - Page : 20

Comme pas mal d’artistes, Farid Aouameur a commencé par la musique andalouse pour se diriger après vers d’autres univers plus personnels et, explorer sa voie intérieure. Aujourd’hui, artiste prolixe et multiforme, il se dévoile à nous, ici, dans toute son authenticité. Il a récemment signé la composition musicale du film Les Palmiers blessés de Abdelatif Benamar. La musique de film, sa passion secrète depuis toujours. Ecoutons-le..

L’Expression: Pourriez-vous nous parler du travail entrepris pour la composition musicale du film Les Palmiers blessés de Abdellatif Benamar?

Farid Aouameur: Cette musique de film est une belle étape dans mon parcours. Depuis quelques années, j’écris des spectacles en commençant par le concept et en finissant par le moindre des détails techniques. Cette écriture m’a donné un recul par rapport à la musique et je crois que j’ai appris l’importance d’écrire la musique la plus «juste» possible. Donc, ce film vient à un moment où j’ai capitalisé pas mal d’expérience en ce qui concerne le rapport du son (en général et la musique en particulier) et l’image. Je ne me suis pas positionné dans ce film comme un «fabricant de mélodies» pour «entraîner» le spectateur dans les émotions de premier degré. D’ailleurs, ce genre du rapport avec ceux qui écoutent ma musique ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est susciter un questionnement - chez moi et les autres - qui amène en général une exploration de tous les possibles. C’est pour ça que j’ai choisi la voie de l’art. Pour en revenir au film, je dirais que d’une façon générale, M.Abdellatif Benamar m’a appris à aller encore plus loin dans l’exploration du potentiel d’un travail artistique. J’ai été très touché par sa capacité à gérer ses incertitudes de scénariste et de réalisateur. Pendant un an, nous nous sommes questionnés sur la guerre, les héros, les traîtres, l’histoire et la mémoire...Ces questionnements me semblaient fondamentaux, car comment écrire la musique sans aller dans les profondeurs des racines de ces «palmiers blessés?» Tout ça pour vous dire que le travail entrepris pour la composition de cette musique a été pour moi à 70% un travail psychologique sur moi-même, et 30% un travail de technique purement musicale. J’aimerai bien que les gens comprennent à quel point une oeuvre artistique nous coûte en énergie et en remise en question...

Pour bien refléter l’atmosphère du film, avez-vous été amené à regarder certaines séquences du film?

Habituellement, les compositeurs de musique de film sont plutôt sollicités à la fin. On leur donne le scénario et la vidéo du montage (souvent provisoire) pour qu’ils écrivent, enregistrent et mixent la musique en collaboration avec le réalisateur et l’équipe qui gère la musique (superviseur musical, réalisateur de la bande son, ingénieur du son, copiste...etc).En ce qui me concerne, j’ai été sollicité très tôt par M.Benamar. Il m’a donné le scénario et nous en avons parlé pendant un an! Je suis allé à Tunis pour rencontrer les acteurs, visiter les lieux de tournage et absorber toutes les ambiances (qui m’habiteront par la suite physiquement pendant toute la composition) avant qu’une seule image ne soit tournée! Quand est arrivé le tournage, j’ai également assisté à quelques séquences. La musique a donc «grandi» en parallèle avec toutes les étapes de fabrication du film, ce qui nous donne cette impression de fusion des sons dans les images. Vous savez, pour retranscrire musicalement une atmosphère, il faut la vivre au plus profond de vous-même. C’est pour cela qu’après avoir fait cette bande originale, j’étais extrêmement fatigué car j’avais profondément intériorisé tout ce qui se passe dans le film (ce qui fait beaucoup d’émotions remuantes...)

On croit savoir que vous avez fait des études en scénario. Dans quelle mesure cela vous aide-t-il à la création de la bande originale d’un film?

Comment peut-on travailler sur un scénario sans savoir comment il est construit? Déjà enfant et au désespoir de mes parents, je démontais tous mes jouets pour comprendre comment ils fonctionnaient! C’est en moi depuis toujours. Un film pour moi, c’est d’abord une histoire et faire une musique de film, c’est rajouter une trame inconsciente au scénario déjà existant. Je crois qu’on peut dire, sans exagérer, que la musique de film est un scénario dans le scénario! La musique devient un acteur supplémentaire et invisible, une voix off puissante. C’est pour cela qu’une musique peut «pousser» un film ou le détruire. Elle peut complètement pervertir le sens d’une scène ou la sublimer. Un compositeur qui ne s’intéresse pas à la science du scénario se coupe, à mon sens, de ce qui donne toute la profondeur de la musique de film.

Vous n’êtes pas à votre première expérience au cinéma, vous êtes aussi compositeur pour des artistes comme Khaled et concepteur de spectacles, un touche-à-tout en somme, d’où puisez-vous l’inspiration?

J’ai toujours dit qu’il y avait UN art et plusieurs formes d’art... Je ne me suis jamais limité à la musique seulement. J’ai toujours été attiré parce que l’art provoquait comme questionnements. Pour moi, être artiste c’est être à l’affût de soi- même et de ce qui nous entoure pour ne pas dire ce qui nous enrobe. L’art est une des multiples voies que l’humain peut emprunter pour chercher et peut-être trouver sa vérité. L’art est sacré. Parfois, je sens que mon inspiration vient de cette partie de moi-même que j’ai appris à écouter et à suivre avec le temps. Mais d’autres fois, je sens cette inspiration arriver d’ailleurs. Un peu comme un vent qui vient de loin et que je capte avec les sens que j’ai développés au fur et à mesure de mon parcours. Difficile de dire d’où vient l’inspiration, mais je peux dire qu’elle ne vient que si on a foi en elle! C’est sûr ça au moins!

Quels sont les moments de la journée que vous préférez pour composer et pourquoi? Peut-on connaître vos projets?

Même si j’aime la nuit et son silence, je n’ai pas de moment privilégié. Quand la musique s’impose dans ma tête, je m’asseois et j’écris. C’est simple! De la même façon, mes projets mûrissent un certain temps pour ne pas dire un temps certain. Je ne sais jamais quand ils sont à point. Je devais finir un album personnel en 2009, mais comme je ne suis pas encore convaincu par le résultat, c’est encore en cours. Le mot «art» suggère un autre mot que j’aime beaucoup: artisan. Je préfère donc l’artisanat à l’industrie...Sinon, des futures collaborations pour d’autres musiques de film. J’espère passer le plus de temps possible dans ce domaine car j’avoue que c’est pour faire de la musique de film que j’ai choisi un jour de faire de la musique!

Comment êtes-vous venu à la musique? Quels ont été vos mentors si l’on peut dire? Très jeune, j’ai été initié à la musique andalouse, mais ce n’était qu’un passe-temps. Adolescent, le besoin de musique a commencé à grandir et très vite, et en autodidacte, je me suis retrouvé à faire du jazz et jouer avec des groupes à Alger. Vers la fin des années 1980, la musique s’est imposée à moi comme un chemin de vie, et à 21 ans, mon diplôme d’ingénieur informaticien en poche, je décidai de partir à Paris pour étudier l’écriture, la composition, l’orchestration, la prise de son, mixage...etc... Donc en réalité, je ne suis pas venu à la musique, mais c’est elle qui s’est imposée à moi! Et elle n’est pas venue seule! Elle m’a amené de grands maîtres en la personne de Miles Davis par exemple, mais aussi Igor Stravinsky. J’ai écouté et lu d’autres maîtres comme Kandinsky, Djallal Eddine Erroumi, Platon, El Halladj ou saint Augustin... Je ne crois pas avoir eu de gourou particulier. Mais tous ceux qui m’ont influencé ou m’influencent encore sont liés par une similitude: l’incessante recherche de leur vérité intérieure qui semble être un luxe pour nous aujourd’hui en ces temps de mondialisation effrénée. Mais justement, pour équilibrer l’effet de ce que je pense être notre civilisation humaine en déclin, cette quête de vérité me semble inévitable.

Propos recueillis par O. HIND