INTERVIEW 3 JANVIER 2016

Dans un entretien accordé à notre journal, le maestro Farid Aouameur a expliqué que l’Orchestre national algérien n’a pas suspendu ses activités. Il est temporairement à l’arrêt pour des raisons d’ordre organisationnel. M. Aouameur annonce, par ailleurs, la diffusion du 1er prime de la 7e saison Alhane wa chabab, le 8 janvier prochain, et fait savoir que près de 1.500 chansons du patrimoine musical algérien ont été retranscrites, tous styles confondus.

El Moudjahid : Parlez-nous du projet de l’Orchestre national de la variété algérienne que vous avez créé en 2014. Est-il à l’arrêt ? Avance t-il ? En quoi se distingue-t-il des autres orchestres qui existent déjà ?

Farid Aouameur : Avant de répondre à votre question, pour moi, il s’agit de l’Orchestre national algérien, et non de la variété algérienne, qui est pour moi un qualificatif réducteur, car la variété n’est qu’une partie de la musique algérienne. Si j’ai accepté initialement cette appellation, c’est uniquement pour qu’on fasse le distinguo entre notre projet et celui de l’Orchestre symphonique algérien, mais désormais, ce sera l’Orchestre national algérien. Cet orchestre a vu le jour en juillet 2014, suite à ma nomination officielle par l’ex-ministre de la Culture, Mme Nadia Labidi, pour un mandat de trois ans, pour prendre en charge la musique algérienne dans tous ses aspects : traditionnel, électronique, moderne. Enfin, tout ce que les gens ont pu connaître de moi dans les différentes émissions que j’ai conçues pour la télévision algérienne, durant mes 25 ans de parcours. Donc l’idée, c’était de monter un grand orchestre, ambitieux, qui comprend trois versions, à savoir la petite, qui compte une trentaine de musiciens, la moyenne une cinquantaine, et la grande une centaine. En fait, c’est le même orchestre avec trois versions et trois configurations différentes. L’idée, c’était de s’occuper enfin de la musique algérienne, mais surtout de le faire dans un cadre technique et artistique convenable, qui répond aux normes en vigueur partout dans le monde et avec une équipe technique, artistique et administrative, et des activités mensuelles.

Comment fonctionne-il et à quel rythme ?

Nous avons commencé avec une cadence de deux concerts par mois, et avec un programme artistique propre à l’orchestre. À cela s’ajoute l’ensemble des collaborations avec les institutions algériennes, que ce soit la télévision ou les autres organismes intervenant dans l’animation culturelle et artistique du pays. Je précise que le premier concert réalisé par cet orchestre s’appelait «El-Janoub» et s’est tenu dans le Sud, ce qui constitue un signal fort attestant de la destinée nationale et algérienne de ce projet. Notre seconde activité a été conçue à la faveur de la commémoration du 1er Novembre. Le projet était dédié aux jeunes talents algériens avec lesquels nous avons revisité les plus célèbres chansons patriotiques remises au goût du jour. Quant à notre 3e projet, c’était un hommage rendu à Cherif Khaddem et une occasion pour sortir un peu d’Alger et se produire dans d’autres villes. Pour ce concert précis, nous nous sommes produits à Tizi Ouzou et à Béjaïa. En mars dernier, et à l’occasion de la Journée mondiale de la femme, nous avons monté un programme rendant hommage à la femme algérienne, auquel ont participé des chanteuses jeunes et inconnues du grand public, mais complètement décomplexées et prêtes à affronter le monde avec un répertoire chanté dans quatre langues. D’ailleurs, le projet s’appelait «Algériennes du monde».

Si nous avons bien compris, le projet de cet orchestre national n’a pas encore abouti à 100%, mais il est opérationnel tout de même ?

Il est vrai que l’activité de l’orchestre s’est provisoirement arrêtée, pour des raisons de nature organisationnelle, car il faut savoir que c’est un projet long dont il faut assumer les mécanismes de sa prise en charge, qui exige un travail technique et administratif. Ce type de projets doit avancer avec des bases administratives très solides,et c’est bien pour cette raison que j’ai préféré arrêter temporairement l’activité. Entre temps, nous avons marqué une présence symbolique au Festival international du film arabe d’Oran, en juin 2015, et se produire en concert avec l’ONCI, en attendant de passer à la vitesse supérieure, comme je me suis engagé publiquement devant la presse nationale. C'est-à-dire organiser un grand casting à travers tout le pays, pour trouver les meilleurs musiciens algériens, mais ce travail est un peu long et compliqué à la fois, car il faut trouver les bons mécanismes administratifs pour le mener dans des conditions dignes d’un travail professionnel. En attendant, nous essayons de faire de notre mieux et de faire en sorte que l’activité ne s’arrête pas complètement.

Depuis votre retour en Algérie et dans l’ensemble des projets que vous avez dirigés, notamment le concert inaugural d’Alger, capitale de la culture arabe, en 2007, ou celui de l’ouverture de la 9e édition des Jeux africains, et même Alhan wa chabab, vous avez toujours intégré dans vos équipes un grand nombre de musiciens étrangers, occidentaux notamment. L’Orchestre national algérien serait-il composé à 100% de musiciens algériens ?

Je vous remercie pour la question, parce qu’elle me donne l’occasion de faire mon propre bilan. Quand je suis revenu en Algérie en 2005, j’avais monté un orchestre composé à 70% d’étrangers et 30 % d’Algériens, pour le compte de l’émission «Hna fi hnan», produite par la télévision algérienne. Aujourd’hui, je suis sur le point de démarrer la 7e édition d’«Alhan wa chabab», mais depuis ma dernière participation au festival de Timgad déjà, en juillet, je suis aux commandes d’un orchestre à 100% algérien.

Vous avez lancé, il y a quelques années, le chantier de la retranscription de la variété algérienne ancienne. Peut-on avoir une idée sur l’état d’avancement de cette opération et combien de chansons ont été retranscrites ?

En fait, c’est un chantier qui s’est imposé de lui-même, car en lançant mes premières émissions télé et en choisissant des chansons, j’ai demandé autour de moi, si l’on pouvait récupérer les partitions de ces chansons, en vain. Du coup, je n’avais pas le choix et je me suis retrouvé obligé de faire moi-même ce travail. Car il faut savoir que ma formation de base est l’orchestration, mais pour diriger un orchestre, il faut lire la musique, il n’y avait aucun organisme pour fournir ces transcriptions, alors il a fallu que je le fasse moi-même, je ne pouvais pas faire autrement. J’ai commencé il y a 10 ans, aujourd’hui, j’en suis à 1.500 chansons retranscrites, tous styles confondus. Mais, il est important de préciser que j’ai fait tout ce travail à titre personnel. Il ne s’agit pas d’un chantier lancé par un organisme public, même si j’ai proposé, à maintes reprises, à certains responsables compétents de les aider à piloter des chantiers de retranscription du patrimoine musical, que ce soit de la musique andalouse, chaoui ou autres. D’ailleurs, il y a des gens qui ont fait ce travail-là...

Revenant à Alhan wa chabab, le 1er prime de la 7e édition est prévu pour quand et quelles sont ses nouveautés ?

Pour moi, Alhan wa chabab  est un projet d’État qui met en avant toute l’Algérie, et en valeur ses meilleurs talents qui n’ont pas pu être pris en charge par le système de production de disques. D’ailleurs, certains des élèves de cette école sont partis à l’étranger et ont participé à d’autres programmes où ils ont fait fureur. Pour les jeunes, ce projet représente un espoir et j’espère qu’il pourra continuer au-delà des personnes qui le dirigent maintenant. Aujourd’hui, les talents en Algérie sont en train de mourir, parce qu’ils ne sont pas valorisés. Malheureusement, à notre niveau, la valorisation de ces talents est modeste et ne dure que deux mois et demi, le temps d’une émission (du 1er prime jusqu’à la finale) et souvent les gens s’interrogent pourquoi les artistes révélés par ce programme ne sont pas pris en charge, par la suite. Justement,  Alhan wa chabab a révélé à quel point le circuit de la production musicale en Algérie est ravagé, idem pour celui de la distribution des disques. Et c’est dans ces deux points que réside tout le paradoxe de cette émission qui révèle, à la fois, les talents, mais aussi l’absence dans notre pays des institutions et structures commerciales ou autres de leur prise en charge, à quelques exceptions près, à l’exemple de l’ONCI qui fait travailler ces jeunes talents, et à qui je tiens à rendre hommage. Pour ce qui est du nouveau, l’émission évolue et se remet en question chaque année, évidemment dans le cadre des moyens qui lui sont attribués. J’entends parfois des remarques et qui, à mon à vis, sont justifiées, reprochant au programme l’absence d’un saut qualitatif. Par rapport à cela, je dis seulement que pour qu’il y ait un saut qualitatif, il faut qu’il y ait un saut dans les moyens. Il faut savoir que ce type de programmes dans les mondes arabe et occidental se fait avec des moyens qu’on ne peut pas concurrencer. Par contre, je peux vous dire que vu le volume de la participation des téléspectateurs via sms à Alhan wa chabab, c’est simplement phénoménal. L’Algérie s’identifie à cette émission. Car elle est faite pour les Algériens et par les Algériens. C’est un projet prioritaire en termes d’image pour l’Algérie. Ce que nous disons aux jeunes qui intègrent l’école chaque année : «C’est possible de vivre votre rêve en Algérie. Pas besoin de partir ailleurs pour le faire !»

Propos recueillis par Amel Saher