Interview El Watan 19/7/2010



Farid Aouameur a appris la musique à l’école El Mossilia et au Conservatoire d’Alger. Il a joué avec des groupes tels que Sweet jazz. Informaticien de formation, il a approfondi ses études musicales à Paris à partir de 1989. Il a participé à plusieurs projets musicaux dont les festivités de «Alger, capitale de la culture arabe 2007» et la cérémonie de clôture du Festival culturel panafricain (Panaf) en 2009. Farid Aouameur a collaboré avec Khaled. Dernièrement, il a composé la musique du film Les palmiers blessés du Tunisien Abdellatif Ben Ammar. «En Algérie, la musique gnawie s’est transformée en karkabou club !»

Propos recueillis à Tunis par Fayçal Métaoui

Vous avez composé la musique du film Les palmiers blessés. Comment a été la collaboration avec le cinéaste Abdellatif Ben Ammar ?

Il n’est jamais facile de travailler pour un réalisateur tel que Abdellatif Benamar. Car, il demande que le compositeur de la musique s’implique corps et âme. On ne lui fait pas face qu’avec des notes. Il faut s’adresser à lui avec une certaine profondeur humaine. Avant d’arriver à la phase opérationnelle avec les mélodies, les maquettes et les orchestrations, nous avons passé une année de travail sur le scénario. Abdellatif Benamar m’a invité deux ou trois fois à Tunis. Je suis allé voir les endroits où il allait tourner, notamment le cimetière. J’ai vu ces endroits avant les acteurs. C’était une manière de m’imprégner de l’ambiance. Le mérite qu’a le réalisateur est qu’il m’a intégré au projet très tôt. Donc, je respire ce film depuis plus d’une année. La phase opérationnelle a commencé en août 2009 et s’est achevée en décembre de la même année. Ecrire et mixer la musique m’a pris six mois en tout.

Il y a une scène, qu’on voit souvent dans le cinéma russe, avec cette troupe de musiciens qui débarquent une nuit de réveillon pour jouer une musique gaie et triste à la fois. Une scène qui marque surtout que Nouri Bouzid semblait ravi de jouer le violon !

C’est l’énergie du désespoir ! Nous avons donné un titre bizarre à ce morceau, Tunisian jam session. Le Jam-session est une réunion de musiciens qui pratiquent, en live, une improvisation pure.

Ce n’est pas une première expérience pour vous de composer de la musique pour un film ?

Oui, j’ai déjà participé dans un film français, Quand les anges s’en mêlent et le film algérien El Kindy. Cela fait 25 ans que je fait de la musique avec un seul objectif : faire des bandes originales pour les films. J’en suis à mes premières collaborations. Je tente de travailler selon les standards américains.

En Algérie, on évoque souvent le défunt Ahmed Malek, mort presque dans l’anonymat, pour parler de la musique pour le cinéma..

En Algérie, je pense qu’on ne fait pas de musique de films, mais de la musique à l’image. Ce n’est pas pareil. Le germe créateur de la musique pour le cinéma est le film lui même. On ne doit pas plaquer une musique sur une image. Parfois, on fait dire à la musique ce que l’image dit déjà. Les grands compositeurs mettent toujours en avant l’idée de complémentarité entre les images et la musique. Sinon, on tombe dans la redite et dans la lourdeur. Je voudrais bien me consacrer à la musique pour le cinéma. Je suis équipé pour cela. J’ai un studio à Paris spécialisé pour cela. Je veux faire des films avec des symphoniques. La majorité des musiques des films américains sont faites avec de vrais orchestres. J’ai donc envie de réhabiliter la culture de l’orchestre et les métiers qui sont autour de l’orchestre, tels que le répétiteur et le copiste. Un orchestre ressemble à une équipe sportive avec un préparateur physique et un directeur technique. C’est toute une vie !

Vous semblez amer sur votre travail musical en Algérie. Pourquoi ?

Au-delà des grands événements de 2009, je garde un goût amer de ce qui a été fait en Algérie. J’aime faire des choses qui ont du sens. Le cinéma me permet de donner un sens à la musique. Travailler pour la chanson comme je l’ai fait, c’est amusant mais je n’ai pas trouvé chez les interprètes quelque chose qui stimule ma créativité en tant que musicien ou compositeur. Si vous faites attention à mes collaborations pour la chanson, vous constatez que j’ai travaillé souvent en tant qu’arrangeur ou orchestrateur, rarement en tant que compositeur. Je veux bien composer, mais les gens pour qui je travaille ne m’inspirent pas ! Avec tout mon respect pour ces gens-là.

Mais êtes-vous satisfait de votre collaboration avec la Télévision algérienne (Hna fel Hna, Alhan oua chabab) ?

Je parle de ce que j’ai vu. Cela peut plaire ou pas. Il faut qu’on soit honnêtes et objectifs. En 2006, j’ai eu la chance de participer à l’émission, Hna Fel Hna. Evidemment, nous n’avons pas changé le monde, mais il y avait des propositions respectueuses vis-à-vis de la musique, des musiciens, des chanteurs et de l’image. La ministre de la Culture nous a fait confiance pour prendre part à des grands événements tels que «Alger, capitale de la culture arabe» et le Festival culturel panafricain (Panaf). La musique a besoin de gens qui la portent.

Existe-t-il une crise de la composition musicale en Algérie ? Le raï est en perte de vitesse et les jeunes s’orientent de plus en plus vers la diwane ou le gnaoui ?

La crise est mondiale. En Algérie, pour paraphraser un ami chanteur, on ne joue pas de la musique gnawie, c’est plutôt un karkabou club ! Je n’aime pas du tout cette manière d’interpréter ce genre musical. Il y a vingt ans, on faisait des choses intéressantes. Aujourd’hui, tout le monde saute sur le gnawi, avec ce côté thé à la menthe et chameau ! Alors que le gnawi est une musique rituelle qui a une profondeur historique et mystique. Cela veut dire beaucoup de choses. On ne pas s'improviser maâlem. Pour cela, il faut avoir au moins appris le diwan et avoir maîtrisé le jeu du gumbri. Certains se servent des saveurs et des couleurs de la musique gnawie pour préparer des sauces. Si on ne maîtrise pas le dosage des épices, le repas devient indigeste. On compense un manque de conception par des colorations. C’est le problème qu’a eu le jazz à un moment donné. Les grands créateurs de jazz existaient dans les années 1960, comme Coltrane ou Parker. Ils avaient créé la liberté et la folie, le jazz ! Après, dans les années 1990, on a coloré le jazz avec le rock, puis il y a eu le world-jazz avec des musiques diverses...Ce n’était pas du nouveau jazz mais une nouvelle forme de jazz. Il n’y a plus de pensée.

Et pour le raï ?

Pour le raï, avec la consécration internationale de Khaled, l’Algérie a eu un retour sur un investissement qu’elle n’a jamais fait. L’Algérie n’a jamais investi dans la musique. On a marginalisé des compositeurs tels que Igerbouchène ou Merzak Boudjemia. Arrive un talent qui s’appelle Khaled, qui aurait pu être quelqu’un d’autre, et qui a été pris en charge par des maisons de disques françaises. Elles ont fait de lui une personne connue. Après, Khaled a été utilisé jusqu’à la moelle. Et pour des considérations géopolitiques et sociologiques, le raï a été mis de côté et tout ce qui va avec, chanteurs compris. Avec le film Buena vista social club,Wim Wenders a révélé une certaine musique cubaine qui existait déjà. A Cuba, les gens ne mangent pas à leur faim, mais la musique n’est pas mise de côté. Il y a une école et une instruction musicale fortes. Des années après la sortie de Buena vista social club, tous les festivals de jazz ont été envahis par la jeune génération de musiciens cubains. Khaled a fait connaître le raï mais n’a pas révélé grand chose, car nous n’avons pas d’école musicale. F.M